Toi, moi et le moi : le nouveau trio amoureux. Et dans ce méninge à trois, on s’aime à perdre la passion. Gare à la tentation d’allonger son conjoint sur le divan, alerte la sociologue Eva Illouz dans un éssai décapant. Car les sentiments s’abîment dans les gouffres de l’égo. Et si on badinait avec l’amour.
« Jérôme n’a pas résolu son Œdipe. » Ondine, 30 ans, architecte, ne s’est jamais allongée sur un divan, mais manipule le vocable psy avec aplomb.
« Oui, bien sûr, quand je lui en parlais, ça l’agaçait, admet-elle. Mais pendant nos dix ans de vie commune, il n’a jamais pris une seule décision sans me consulter. Pour changer de job, choisir un DVD ou même plier ses chemises. Il faisait un transfert. J’étais devenue sa maman.Alors Ondine a voulu tout savoir du passé de Jérôme : « Je creusais son enfance, ses traumatismes, son rapport à sa mère... Mais lui, ça le rendait fou ! Il se sentait violé dans son inti mité. » Son couple a explosé. Avec son nouveau boyfriend, Timothée, elle jure qu’on ne l’y reprendra plus : « Avec lui, je fonce, je vis l’instant présent, je ne réfléchis plus. Et je vibre comme jamais. J’ai compris que tout analyser peut étouffer l’amour. »
Freud, sors de ce corps !
Avouons-le. Qui n’a pas goûté à ce petit jeu, innocent en apparence, du décorticage psy de l’amour ? Il est follement tentant de déshabiller l’inconscient de l’autre pour comprendre – enfin ! – ses manies qui nous agacent tant. Découvrir aussi, et surtout, s’il (ou elle) nous aime pour de bonnes raisons, et non par répétition d’un schéma archaïque infantile... Stop ! « Cessons de chercher les raisons de nos difficultés amoureuses dans nos inconscients prétendument défaillants et nos enfances défectueuses », s’insurge la sociologue Eva Illouz, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem et auteur d’un essai aussi argumenté que dérangeant (« Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse dans la modernité » éditions du Seuil). « Sous prétexte d’améliorer les relations, de faire baisser les températures émotionnelles, on assiste à une invasion du vocabulaire psychanalytique dans le langage amoureux. Des concepts freudiens complexes sont utilisés à tort et à travers pour rationaliser l’amour, regrette-t-elle. Je ne dis pas que l’introspection et le travail sur soi sont inutiles dans la vie conjugale, bien au contraire, mais je déplore que la psychologie devienne l’unique grille de lecture de nos amours », nuance-t-elle.